Kaolin de mon enfance



Curieusement, nous appelions cet endroit « le tertre rouge ». Nous avions entre 7 et 10 ans, 4 enfants du bourg inséparables. La forêt, juste après le village n’avait pas de secret pour nous. Nous prenions le chemin du « lac des Pigeons ». Le lac était en réalité une petite mare dans laquelle nous attrapions des tritons ou des têtards.





A droite, un sentier menait à l’étang de Rivesol, au milieu un autre qui nous faisait peur car une voiture brûlée par les Allemands gisait encore dans le bois, vestige de l’incendie de la maison de la Borie.





Nous prenions le sentier de gauche, serpentant entre les grands chênes et les châtaigniers de la forêt. A quatre cents mètres, sur la droite, le tertre se dressait, telle la tête d’un énorme champignon sortant de terre. Pour nos petites jambes, il nous paraissait énorme, insolite : une montagne rouge marbrée de blanc. Pas de végétation sur ce champignon, ce qui rendait ce lieu mystérieux. Nous montions à son sommet et là, nous creusions la matière blanche immaculée avec nos mains, avec des bâtons, plus tard avec des cuillères. Quel beau jouet cette pâte à modeler ! Douce au toucher, elle prenait toutes les formes que nous lui donnions : petits bonhommes, animaux.



Nous étions sur un filon d’argile pure rouge et blanche : la blanche était du kaolin. Mon papa m’expliqua alors que ce kaolin était la base de la fabrication de la porcelaine et qu'en Limousin on exploitait de gros gisements. Alors je rapportai à la maison un morceau de cette pâte pour en faire un vase. Grossier et très lourd, je le fis sécher sur le bord de la cuisinière et le peints en bleu charrette, peinture trouvée dans l’atelier de mon père. J’ai gardé longtemps ce vestige de mon enfance.

Nous sommes tous partis faire notre vie ailleurs. Je suis revenue vivre au village. Récemment, nous avons emprunté ce chemin du « lac des pigeons », réhabilité en sentier de randonnée. Le lac est à moitié asséché, envahi par les herbes. Le chemin est devenu rectiligne, refait complètement, méconnaissable … plus loin la forêt a été coupée. Seuls quelques chênes subsistent de loin en loin, orphelins. Le chemin traverse alors un large espace où le sol est nu : notre tertre rouge ! Une pelle mécanique a décapité notre montagne magique, le kaolin a été étalé dans le chemin, en une vaste hémorragie … Les randonneurs qui passent par ici ne savent pas quelle a été la valeur de ce lieu, ils foulent le sol de leurs chaussures à crampons … Je suis revenue seule il y a quelques jours. Je me suis assise sur le bord du chemin blanc, j’ai pris une motte de kaolin dans mes mains et je l’ai malaxée longuement … Je me rappelais sa douceur dans ma paume … j’ai alors modelé un visage d’enfant. Ce visage pleurait. Je me suis relevée et j’ai essuyé mes larmes avec le revers de ma main d’adulte.

Par Mireille BERGER.

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