BERTRAND Jean dit Henri, mon grand-père.

Sur sa Fiche Matricule, son degré d’instruction est « 3 », Henri sait donc lire, écrire et compter. Ecrire, est un bien grand mot pour ce grand-père qui les aligne, les uns derrière les autres sans grammaire ni ponctuation ni orthographe. Il mélange allègrement patois, français, il chuinte, les J et les S sont des CH, il écrit comme il parle. Quand un mot est trop compliqué pour lui, il ne le termine pas ou ce sont des fins de phrases qui restent en suspens …. A moi de deviner, de prendre la loupe, de mettre dans tous les sens cette lettre afin de lire et comprendre. J’avoue qu’après la lecture des trois premières cartes non écrites par Henri, j’ai failli abandonner. Ma curiosité m’a poussé à lire plus de 800 lettres destinées à Maria, ma grand-mère. Elle avait mis son trésor dans une boite en fer : lettres, cartes postales, cartes de correspondance, classées date par date, année par année, chaque paquet minutieusement ficelé avec de la laine noire. Ces lettres auraient pu être jetées, brûlées lors des divers aménagements de la maison familiale et le décès de Maria en 1968. Elles sont restées au grenier, puis descendues dans un buffet, mises dans une armoire et sont arrivées chez moi sur une étagère attendant que je veuille bien en commencer la lecture, un jour….Ce que j’ai fait, il y a environ cinq ans.
Henri en 1903.


Ce que je sais et ce que je connais de mon grand-père Henri vient la seule lecture de ces lettres écrites au front et pendant l’occupation de l’Allemagne, pendant un peu plus de quatre années à faire « mon métier de soldat et que j’y suis obligé » écrit-il. Comment ne pas admirer cet homme qui par amour pour sa femme lui envoie toutes ces preuves de vie ?

Ma fastidieuse lecture commence par une carte-lettre du 5 Août 1914 et se termine par une dernière lettre datée du 18 Février 1919. J’apprends à lire ce paysan qui me fait plus souvent pleurer que rire. Henri laisse filtrer parfois un peu d’humour mais ne cache pas à sa femme son anxiété, sa colère, sa peur, son cafard. Il se raccroche au Bon Dieu et prie tous les jours, demande dans toutes ses lettres à Maria d’en faire autant, « de faire brûler un cierge », d’aller à la messe. Dieu le protégera et leur permettra de « se retrouver ensemble à Champagnac ». Henri est à la guerre mais son inquiétude porte sur la métairie laissée à Maria, à sa mère et à sa belle-sœur. Comment vont-elles faire ? L’aide vient de la famille de Maria, des voisins et des frères revenus en permission.

''Ces années d’écriture assouplissent le poignet d’Henri, l’écriture est plus fluide qu’il emploie le crayon à papier, le crayon mauve, le porte-plume et même le stylo-plume, sans pour autant corriger ses fautes ! ''
Jean dit Henri naît le 21 Avril 1883 au village de Fialarge de Champagnac-de-Belair où ses parents Pierre et Pétronille LAFAYE sont métayers de chez ESPES-LESCAT. Pierre, bon métayer, reçoit la Médaille d'Honneur Agricole en 1901. Henri est le dernier d’une fratrie de sept garçons.

Pétronille a 17 ans lorsqu’elle donne le jour à son premier enfant :

	Jacques le 27 Janvier 1870 à Verneuil. Il décède le 16 Mai de la même année.

Puis naît aussi à Verneuil :

	Léonard dit Jacques, le 29 Juillet 1871.

La famille loue la métairie de Fialarge et naissent dans ce hameau :

	Jacques dit Louis, le 22 Octobre 1873. Il décède en 1899.
	 Jacques dit Bertrand puis Jacquillou le 22 Octobre 1875
	Geoffroy dit François le 3 Novembre 1877. 
	Pierre dit Emile, le 22 Avril 1881.

Henri, 8 ans en 1891 n’est pas un élève assidu dans cette nouvelle école mixte de Champagnac-de-Belair, inaugurée vers 1890. Pourtant la famille BERTRAND habite à Saint-Marc, hameau en haut du bourg, sur la route de Villars. Il fait comme tous les autres écoliers, fils de paysans qui restent aider à la ferme.

Ses frères aînés apprennent aussi à lire et à écrire, pour certains, dans l’ancienne école de garçons qui abritera plus tard les locaux de la poste. Ce peu d’instruction leur permet de correspondre avec leur famille, leurs amis et entre eux sur le front. Ce courrier, ces nouvelles, ce lien familial entretenu au fil des jours, des années, les aide à rester « aux tranchées » et à espérer le retour au pays « en attendant que cette maudite guerre se termine pour qu'on se retrouve tous ensemble à Champagnac, comme on était avant, qu'on était si heureux ».

Henri épouse à la mairie de Champagnac, le 9 Avril 1910 Marie dite « la petite Maria ». Elle vient des Brageots, hameau de Saint-Crépin-de-Richemont où ses parents Barthélémy FAYE et Antoinette MATHIEU sont propriétaires-cultivateurs. Le couple s’installe à la métairie du Petit-Mars qui appartient à la famille BARBY, où naîtra leur seul fils Paul-André le 14 Août 1918, mon père. Pétronille, belle-mère de Maria, vit avec le jeune couple. Léonard dit Jacques et son épouse « la grosse Maria », sont aussi métayers au Petit-Mars.

Henri
& Maria

En ce début du mois d’Août 1914, le tocsin sonne à Champagnac, Henri, ses quatre frères et tous leurs camarades savent qu’il faut partir rejoindre leur caserne. A-t-il pris le tacot à la petite gare de Champagnac ? Maria l’a-t-elle accompagné jusqu’à Brantôme ou Périgueux ? Sur le quai de quelle gare se sont-ils serrés dans les bras une dernière fois et ont-ils pleuré ensemble ? Est-ce à ce moment-là que Maria lui demande de lui écrire le plus souvent possible ?

Ses frères sont tous déjà revenus dans leur foyer lorsque retrouve Maria au Petit-Mars le 1er Mars 1919. La guerre les a tous épargnés.

Je retrouve Henri ainsi que Jacques, Léonard et François (Emile réside à Brantôme) lors d’une réunion de l’Union Nationale des Combattants, section de Champagnac-de-Belair à l’assemblée Générale du 9 septembre 1919 qui a pour but de fonder une association. Un bureau est formé, Henri est nommé assesseur. Dans mes papiers de famille, je n’ai pas retrouvé d’écrits d’Henri si ce n’est une signature apposée sur divers documents. Je pense qu’il n’a plus jamais écrit de lettres.

Il décède le 3 Octobre 1939 au hameau de Cheynoux de Champagnac dans la maison qu’il avait achetée en 1928 « à la bougie ».

Marie Paule BERTAND-BLANCHARD.

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