LASSERRE René Récit d’un Prisonnier de guerre 1940-1945

Mon papa René LASSERRE est né un 30 décembre 1916 d’une fratrie de 9 enfants. Sa vie a été très riche en péripéties qu’il aimait raconter. A l’aube de sa vie, à 80 ans, il a écrit ses mémoires sur des cahiers que j’ai fait imprimer pour notre famille et ses amis. Il s’est aidé d’un petit carnet de notes rédigé pendant son service militaire et sa captivité en Allemagne. C’est le récit de celle-ci qui va suivre.



Après sa « drôle de guerre » sur le front Est, René a été fait prisonnier le 22 juin 1940, en même temps que les 1.845.000 soldats (1) suite à la reddition signée avec l’ennemi. Les allemands conduisirent alors tous les prisonniers depuis la caserne Molitor de Nancy, puis vers la gare où ils durent monter dans des wagons à bestiaux le 25 juillet. Le voyage dura 3 jours avec 50 à 60 compagnons dans le même wagon, sous une chaleur étouffante. Pas de toilettes, une boite de conserve circulait jusqu’au soupirail au fond du wagon … Arrêt à Luckenwalde, stalag IIIA (dans le Brandebourg) le 28 juillet à 15 heures. Désinfection totale. Ce fut le contrôle d’identité par les gardiens, plaque de métal avec numéro de prisonnier : 50712, Stalag III A. Départ pour une ferme en camion pour Reedz. Le patron de la ferme était SA, tête carrée, uniforme et croix gammée. Les prisonniers dormaient au camp et les agriculteurs venaient les chercher le matin. Par la suite, ils purent aller seuls à la ferme. Le travail était dur, mais la nourriture bonne. Forgeron de métier, mon père fut remplacé par un autre prisonnier au bout de 2 mois pour aller travailler en usine : celle d’Arado à Brandebourg (2). Il y avait là 1 400 prisonniers. Le travail n’était pas trop dur, mais la nourriture exécrable. Quinze jours après, mon père changea de camp pour travailler à l’usine Elisabeth-Hütte une fonderie de fonte et d’aluminium. Les prisonniers étaient alors 150, logés dans une usine de confection. Ils avaient une bonne hygiène avec douche et habits propres.

REVE D’EVASION

Ce fut un premier Noël en Allemagne … Le mal du pays commençait à chatouiller mon père … il rêvait … d’évasion ! Il en parla à 4 camarades sûrs. Ils s’organisèrent donc … Ils réussirent leur évasion ce 29 juin 1941 … La liberté dura 10 jours avec maintes péripéties. Mais le 11ème jour, leur périple à travers l’Allemagne se termina : le groupe fut repéré et dénoncé alors qu’il marchait le long de l’autoroute Berlin – Nüremberg. Un soldat allemand arriva avec son arme. Il mit en joue les hommes et demanda leurs papiers. Epopée terminée, évanoui leur rêve de revoir la France !

DE RETOUR A LA CASE DEPART

Conduits dans un camp de prisonniers serbes, ils furent interrogés et conduits enfin dans une prison de droit commun. Trois jours dans cette prison dont leurs gardiens étaient un alsacien et son épouse allemande. De par leur nationalité et le fait qu’ils ne soient pas des repris de justice, ils furent bien traités, aussi bien en nourriture que humainement : on leur apporta même du papier et des crayons pour jouer à la bataille navale. Touché, coulé : comme eux ! Le moral était au plus bas.

Un soldat les amena ensuite au train direction Luckenwalde, stalag IIIA. Jugés dès leur arrivée, ils furent condamnés à 1 mois de compagnie de discipline et dix jours de cellule chacun … Entassés à 10 dans une pièce de 1,50 m sur 2 m, une maigre soupe était servie et tous les trois jours un petit bout de pain avec de la confiture et de la margarine au goût douteux. Ils purent récupérer la monnaie cachée dans leurs semelles et acheter un peu de nourriture au marché noir.
René et ses 7 camarades KG inséparables : (3ème 1er rang de gauche à droite)
Après la peine purgée, ils furent expédiés dans un camp de 350 prisonniers, une trentaine de sentinelles, petit camp avec miradors aux quatre coins et double rangée de barbelés.

HISTOIRE DE PIGEONS

La première sortie s’effectua un matin par groupe de 20 KG (Kriegsgefangene). Ils furent conduits dans une grande ferme d’état où grouillait plus de 150 ouvriers et ouvrières de toutes nations. La journée se passait à couper l’avoine et la stocker dans un grand hangar. Grimpés en haut des gerbes en tassées, des camarades aperçurent des nids de pigeons entre les chevrons. Ils s’empressèrent de d’estourbir les pigeonneaux et les enfouir dans leur musette. Le soir, ils mangèrent les volatiles et enfouirent les restes. Ils recommencèrent les jours suivants. Le quatrième jour, le chef de la ferme regarda son vol de pigeons. Sans doute avait-il remarqué qu’il avait diminué. Les hommes donnèrent immédiatement la consigne aux autres KG de cacher les pigeons estourbis le matin dans les gerbes d’avoine. En effet, une fouille générale de tous les KG fut organisée, les chefs ne trouvèrent rien. Les prisonniers jugèrent qu’ils n’avaient pas touché à un seul pigeon.

POMMES DE TERRE CONTRE CIGARETTES

Après l’avoine, ce fut les pommes de terre, arrachées par une machine. Pour encourager les KG à ramasser plus vite les tubercules, les chefs promirent une cigarette par baquet vidé dans la remorque. « Le premier jour ils furent réglo » écrira mon papa. Mais ils trouvèrent que cela faisait trop et diminuèrent les récompenses. Alors les travailleurs en firent autant pour le travail. Les gardiens embauchèrent des italiens qui ramassaient en même temps que les français. Eux étaient payés au baquet. Quand les KG français avaient ramassé un baquet, ils l’échangeaient avec les italiens contre une cigarette. A ce rythme les français ramassaient 15 baquets par jour, les italiens une centaine.

EN GREVE

Forgeron de métier, mon père demanda à travailler dans une forge. Le chef de camp le toisa d’un regard interrogateur. Sans réponse au bout de huit jours, il réitéra sa demande. Pas de place pour lui ! Le lendemain, mon père refusa de travailler. Il fut mis en cellule et le gardien lui dit : « Rien à manger ». Il ne mangea jamais aussi bien que ce jour-là ! Ses copains lui firent passer du chocolat, du pain, des biscuits. Le soir on le conduisit devant un jeune officier. Ausculté par un médecin français lui aussi KG. L’officier lui demanda la raison de son refus de travailler. Mon père répondit qu’il avait par deux fois demandé d’aller travailler dans une forge et qu’il n’avait pas eu satisfaction. – Etant prisonnier, vous n’aviez pas à refuser de travailler ! » « C’est le seul moyen de se faire entendre ! » Répondit-il. Il lui promit de s’occuper de sa demande. En effet, quinze jours après, il fut envoyé à ALTRUPPIN.

Il arriva au camp le soir à la nuit. C’était une ancienne tannerie mais protégée par des barbelés tout neuf. Le gardien du commando le reçut sans ménagement et le menaça avec son pistolet. Il lui déclara qu’il n’hésiterait pas à lui tirer dessus s’il tentait de s’évader une nouvelle fois. Sa réputation de râleur l’avait suivie ainsi que sa tentative d’évasion … Il embaucha le lendemain chez le forgeron du village. Le soir il rentrait au camp après la journée de travail. Ils étaient une soixantaine de KG de tous les métiers.

SYSTEME DEBROUILLE

A cinquante mètres du camp coulait un canal. Des péniches y passaient. Ce canal reliait deux grands lacs aux eaux profondes. Un des camarades travaillait de nuit chez un pêcheur. Il demanda à mon père de lui fabriquer un harpon en acier. Il le paya en nature avec des brochets qu’il captura. Un autre commanda un collet pour attraper des lièvres et des chevreuils. Il y avait beaucoup de gibier, des bois entouraient les champs de culture. Pour les lièvres, du câble de frein de vélo convenait parfaitement. La survie les guidait. Il fallait manger, surtout pour beaucoup d’entre eux. Entre temps, un nouveau gardien fut nommé. Il était très sympathique. Il avait tout à gagner lui aussi. Il eut droit au chocolat plus tard quand les KG reçurent des colis d’émigrés.

ICI LONDRES

Un des camarades se procura un poste TSF avec écouteurs qu’il fallut cacher. Deux KG étaient menuisiers. Ils coupèrent une planche de parquet en dessous de leur lit pour faire un passage et accéder à la cave. Ils laissèrent quatre petits trous fraisés pour visser la planche après utilisation. Un peu de poussière sur les joints et rien n’était apparent. Tous les soirs à 21 heures, ils écoutaient ainsi radio Londres. Le problème est que le gardien avait l’habitude de venir faire l’appel à cette heure. Il fallait l’amuser pendant ce temps. Les prisonniers lui offraient cigarettes et chocolat. Malgré sa gentillesse, il était allemand donc méfiance ! Quand les informations étaient terminées, les copains tapaient deux petits coups à un endroit sous le plancher et les autres attendaient que le gardien soit parti pour ouvrir la trappe et libérer les 2 informateurs.

AU CHARBON

Cette cave secrète leur permit également de cacher tous les objets compromettants qu’ils possédaient : trois tonnes de charbon en briquettes substituées à une péniche qui avait vidé son stock près du camp. Le gardien leur fit comprendre que l’hiver serait rude, qu’il était avec eux et qu’il fallait se chauffer les mois de froid ! Les prisonniers comprirent tout de suite, surtout qu’ils avaient déjà commencé à se servir : Ils y travaillèrent tout une nuit, la cave était assez grande pour y contenir le chargement. Le lendemain le patron de la péniche vint vers 9 heures avec un gendarme. Ils firent l’inspection de la chambre et l’enquête s’arrêta là. Depuis cette cave, on installa une prise électrique : les prisonniers avaient monté une bibliothèque et, avec les prises de courant, ils purent lire tranquillement après l’extinction des feux.

PASSAGE A TABAC

L’un des camarades boulanger travaillait de nuit. Il aperçut des camions se garer devant un grand hangar. Des caisses étaient déchargées dans ce bâtiment et cela l’intrigua. La nuit suivante il se faufila dans ce hangar, accéda aux caisses entassées jusqu’au fartage avec une échelle. Ces caisses étaient remplies de cigares et cigarettes. Le lendemain, tout excité, il raconta sa découverte : à partir de ce jour ils eurent le tabac à volonté ! Ceci se passa dans l’hiver 1944.

ESPOIR DE LIBERATION

Les prisonniers avaient de nouvelles du front russe : ils montraient leur nez à l’Est, les américains à l’Ouest. Ils avaient prévus d’aller au-devant des américains … La forge où mon père travaillait se trouvait sur la grand-rue Breite-Strasse. Il vit passer par la fenêtre de son atelier près de cinquante mille déportés de tous pays. Un grand choc, une grande pitié l’envahit de voir ces malheureux dans cet état de misère physique, avec de mauvaises chaussures ou pieds nus. Les gardes les malmenaient encore à coups de crosse. Son patron n’en revenait pas, il ne savait pas comme beaucoup d’autres allemands qu’il y avait des personnes ainsi torturées, affamées. Ces déportés venaient du camp de concentration d’Oranienbourg. On était en février 1945. Les prisonniers quittèrent le camp d’Altruppin le 30 avril 1945. Cinquante kilomètres à pied. Mon père avait trouvé une bicyclette. Il s’en servit pour transporter son sac et celui des copains. Ils conduisirent à tour de rôle. Un autre avait fabriqué une brouette avec une roue d’un avion de chasse récupérée. Ils arrivèrent au bord de l’Elbe le 2 mai au soir. Les américains tenaient une tête du pont. Ils firent le tri. Les KG des pays de l’Ouest traverseraient le fleuve sur les barques à moteurs conduites par 2 américains. « Ce fut là un des plus beaux jours de ma vie » écrira mon père. Ce bonheur fut attristé par un accident : le bateau suivant chavira au milieu de l’Elbe. Ne survécurent que 9 prisonniers sur les 18 passagers : huit français qui venaient d’Altruppin et un américain se noyèrent. Un autre accident se produisit parmi eux. Un russe voulut désamorcer une mine antichar. L’engin explosa. Il fut déchiqueté et 8 blessés tombèrent à côté. Les américains transportèrent les soldats libérés par camion à la gare la plus proche. Direction la France. Ils traversèrent la Hollande, la Belgique. A Charleroi, un repas chaud leur fut offert par les Belges avec un verre de vin rouge. Le premier verre d’un pays ami depuis cinq ans. Le convoi passa le Rhin le 11 mai à neuf heures du soir. Ils furent désinfectés et démobilisés officiellement. Arrivé à Périgueux le 14 mai dans la soirée, il retrouva sa mère et toute la famille à Cendrieux le lendemain matin vers 11 heures … Quel délabrement moral après cinq années de solitude, de stress. Même si les conditions de détention n’ont pas été dramatiques pour mon père, il disait qu’il avait eu de la chance de ne pas être maltraité mais il y avait cette tension permanente, et surtout la culpabilité de se trouver si loin de son pays, impuissant à tout ce qu’y s’y passait. Mon père a ainsi donné 8 ans de sa vie à la France : parti en 1937 pour le service militaire, il est revenu en 1945.

(1) : Mon père avait noté 30.000 prisonniers : certainement ce jour-là. Sur Wikipédia ce sont 1.850.000 soldats qui furent faits prisonniers en France par les Allemands en mai-juillet 1940. Sur ce nombre, 80.000 réussirent à s’échapper entre juin 1940 et octobre 1942. 51.000 trouvèrent la mort ou disparurent au cours de leur captivité.

(2) Usine Arado (Brandebourg) : constructeur aéronautique liquidé en 1945 (source Wikipédia).


Par Mireille BERGER.

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